
Dans les arcanes feutrés de la rédaction constitutionnelle, les mots ne sont jamais neutres. Ils protègent, ils verrouillent… ou ils ouvrent des brèches béantes. C’est exactement ce qui se joue aujourd’hui entre deux articles du projet de nouvelle Constitution guinéenne : l’article 74 et l’article 160. Deux textes qui, à première lecture, semblent cohabiter en paix. Mais à y regarder de plus près, c’est une véritable collision juridique qui se profile. N’en déplaise au Premier ministre Bah Oury et à des avocats du café du coin!
L’article 74, d’abord. Sous couvert de reconnaissance nationale, il promet aux anciens Présidents de la République un bouquet de privilèges : avantages matériels, financiers, protection rapprochée… et surtout, une immunité civile et pénale pour les actes accomplis ‘‘dans l’exercice régulier’’ de leur fonction. Voilà un mot-clé : régulier. Un terme à la fois rassurant et glissant, qui peut aussi bien signifier ‘‘conforme à la loi’’ que ‘‘dans le cadre habituel des fonctions’’.
L’article 160, lui, semble jouer les gardiens de la morale publique. Il confie à une Cour spéciale de Justice le soin de juger le Président -en exercice ou non- pour haute trahison, crime ou délit commis dans l’exercice ou à l’occasion de ses fonctions. Ici, le vocabulaire est plus large : il ne s’agit pas seulement d’actes réguliers, mais de tout ce qui se passe pendant le mandat, y compris les dérives les plus graves.
Et c’est là que le bât blesse ! Si un Président signe un contrat minier frauduleux pour son enrichissement personnel, faut-il considérer que c’est un acte régulier- puisqu’il entre dans ses prérogatives de signer des accords- et donc le protéger par l’immunité ? Ou faut-il l’estampiller crime et le livrer à la Cour spéciale ? Dans un cas, l’article 74 le met à l’abri. Dans l’autre, l’article 160 l’expose.
En l’état, cette ambiguïté ouvre un boulevard aux interprétations partisanes. Les uns brandiront l’immunité comme un bouclier, les autres invoqueront la justice comme une épée. Et au milieu, la vérité juridique se perdra dans le flou du mot régulier.
Une Constitution n’est pas un terrain de jeu pour juristes habiles ou politiciens rusés. Elle doit protéger l’État de droit, pas les privilèges d’une fonction. Tant que la frontière entre exercice régulier et crime ou trahison ne sera pas clairement tracée, le risque est immense : transformer l’immunité présidentielle en impunité permanente.
En un mot ou en quatre, une constitution floue, c’est une justice aveugle.
Ibrahima S. Traoré pour guinee7.com
Last modified: 13 août 2025